Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, les hommes luttaient contre les épidémies à l’aide de méthodes purement empiriques. Ils n’en connaissaient pas vraiment les causes et avaient tendance à voir en elles un effet de la colère divine ou de la vengeance de la nature. Ce mode de pensée n’a pas totalement disparu. Le 22 mars 2020, Nicolas Hulot expliquait ainsi que « nous recevons une sorte d’ultimatum de la nature ». Mais une autre idée fait florès. Selon une étude IFOP, 26 % des Français interrogés pensent que le virus a été créé en laboratoire par l’homme, délibérément ou accidentellement. Aux Etats-Unis, cette proportion s’élève à 29 % selon une étude du Pew Research Center. On pouvait encore entendre sur la chaîne de télévision CNews le 17 avril 2020 que ce virus est « un travail de professionnel, un travail de biologiste moléculaire, un travail très minutieux, d’horloger si on peut dire ». Les scientifiques nous apprennent pourtant que les coronavirus sont présents naturellement chez certains animaux et que l’on ne trouve dans le génome du SARS-CoV-2 aucune trace des techniques de biologie moléculaire connues et utilisées en laboratoire.
L’idée selon laquelle la pandémie actuelle est le fruit d’un complot, ou d’une erreur humaine, peut très bien se combiner à celle selon laquelle l’action humaine a ensuite déclenché des représailles de la nature. Ces deux visions apparemment opposées se renforcent alors l’une l’autre. Comme l’explique le président de l’Association française pour l’information scientifique, il y a là « un relent de punition divine : nous avons dérangé ‘la Nature’ et elle revient pour nous demander des comptes, ‘nous tester sur notre détermination’ comme l’affirme Nicolas Hulot sur BFMTV. Nous devrions faire pénitence et adopter les visions de ces nouveaux prédicateurs d’une nature attentionnée et bienveillante à condition qu’on ne la contrarie pas. En réalité, cette pandémie nous rappelle que l’Homme continue à vivre dans une nature qui n’est ni bienveillante, ni accueillante ».
Certains parlent de « la modernité » de cette épidémie, et il est sans doute nécessaire d’en débattre, mais il est absurde de prétendre qu’elle provient d’un « virus adapté au capitalisme ». Par ailleurs, les confusions quant à la question de l’origine du virus se doublent à présent d’affirmations contestables quant aux liens entre la crise sanitaire et la crise économique. Pour Paul Ariès, le confinement serait « un symptôme de l’effondrement systémique qui vient du fait du productivisme ». Pour Emmanuel Todd, « le coronavirus est le jugement dernier sur la globalisation ». Qu’est-ce que cela signifie ? Ces formules à l’emporte-pièce visent surtout à marquer les esprits. Si on les replace dans leur contexte, on comprend que leurs auteurs veulent attirer l’attention sur le fait que la vitesse de propagation du virus et la gravité de la crise sanitaire sont très influencées par l’organisation sociale de la production et des échanges. C’est sur ce point que nous soumettons au débat quelques réflexions, à partir de comparaisons historiques et de concepts issus des analyses économiques régulationnistes et marxistes. Nous aborderons ensuite quelques conséquences de la crise.
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