La chronique de Mireille Bruyère dans Politis du 7 septembre 2022
Les réformes de l’assurance-chômage et du RSA ont un but : réduire l’autonomie des bénéficiaires. Avec un État en véritable DRH du capitalisme.
ès le début du capitalisme, la mise au travail des paysans et des ouvriers a été un enjeu politique majeur. Dans cette tâche coercitive, l’État a toujours joué un rôle important. L’un des moyens les plus efficaces, sans en passer par l’esclavage, réside dans la suppression de l’autonomie des travailleurs. Les enclosures d’abord, la loi Le Chapelier ensuite, qui interdit l’organisation collective des travailleurs, et, enfin, le livret d’ouvrier, qui empêche la libre mobilité des travailleurs « pour lutter contre la désertion », comme l’affirmait la loi de 1803. On appelle désormais cela la démission. Réelle ou fantasmée, elle a toujours été crainte par le capital.
Cent soixante-dix ans plus tard, il fallait des emplois flexibles et des salariés disponibles et plus stables. On a eu trois décennies de flexibilisation vendue comme offrant plus de liberté aux travailleurs. Mais la liberté, ce n’est pas l’autonomie. La liberté demande des moyens. Le concept marketing de l’époque, c’est la « flexisécurité » : plus de flexibilité d’emploi contre une « sécurisation » des mobilités des personnes.
Depuis, la flexibilité de l’emploi a continué à s’approfondir au fil des réformes. Les déclarations d’Emmanuel Macron sur l’obligation de travailler pour les bénéficiaires du RSA et son discours du 14 juillet sur l’assurance-chômage, qui permettrait aux chômeurs « de réfléchir à leur vie », montrent bien que la cible, c’est toujours l’autonomie.
Les réformes de l’assurance-chômage et du RSA répondent à l’hyperflexibilité du marché du travail. Sa structure, très flexible, voire trop flexible, augmente les temps de recrutement et de chômage, car les transitions ne sont jamais immédiates. Et la « grande démission » est toujours la crainte des patrons. Or les taux élevés de départs constatés n’ont rien d’inédit. Dans l’industrie manufacturière, des taux élevés de démission ont été observés dans les années 1950.
Cela a suffi à engager une vaste contre-offensive néolibérale fondée sur un management plus individualisant et agressif. Les deux réformes annoncées pour la rentrée s’inscrivent dans cette tendance de fond. Celle de l’assurance-chômage va durcir encore le contrôle pour obliger le plus possible les travailleurs à prendre les emplois flexibles. Mais, surtout, la réforme du RSA visant à conditionner son versement à « quinze ou vingt heures d’activité hebdomadaire » est une véritable mesure de destruction complète de l’autonomie pour ces bénéficiaires.
Car, finalement, que signifie cette obligation de travail ? Ce n’est pas du salariat. Quel sera le statut du travailleur au RSA ? Il ne lui restera que la subordination vis-à-vis de l’État, payé en dessous du Smic sans droits syndicaux ni droits à la retraite. Mais c’est peut-être un avant-goût de la manière dont on placera à l’avenir les personnes au travail, sous le contrôle d’un État véritable DRH du capitalisme ?