D’autres politiques économiques sont possibles

Adhérer

La crise a largement révélé l’importance du rôle des banques centrales. Leurs  interventions,  sans précédent tant par leur ampleur que par leur diversité, ont pris des formes différentes selon leur statut, leur pays et leur histoire, la BCE et la FED par exemple n’intervenant pas de la même manière. Pour autant le problème de l’évaluation de ces interventions et de leur efficacité reste posé puisque la crise est toujours bien présente à l’échelle mondiale et que le spectre d’une explosion plane toujours de façon importante au-dessus de la zone euro. L’objet de cette note n’est pas de tirer un bilan des cinq dernières années mais d’examiner le tout récent programme de la BCE.

Les principales dispositions du nouveau programme

Le 6 septembre 2012, par la voix de son président, la BCE a annoncé son nouveau programme « Outright  Monetary Transactions » (OMT)[1].

On peut résumer ce programme[2] en 10 points :

1.        La BCE met fin à son programme intitulé Securities markets program (SMP). Ce  programme avait été instauré en mai 2010 lorsque la Grèce commençait à être violemment attaquée par les marchés. Environ 56 milliards de titres grecs avaient alors été achetés. Durant l’été 2011, la BCE avait réactivé les achats du SMP qui étaient alors passés de 74 mds € en 2011 à 217 mds en juin 2012, essentiellement en raison d’achats de titres espagnols et italiens. La liquidité octroyée par les achats du SMP a été stérilisée via la « reprise des liquidités en blanc ».

2.        Adoption du programme OMT (traduit par transactions monétaires fermes) qui est un programme ex ante illimité (en quantité et dans le temps) d’achats par la BCE, via les banques centrales nationales, d’obligations souveraines de certains pays de la zone euro.

3.        C’est un programme d’achat sur le marché secondaire, la BCE refusant toujours d’intervenir sur le marché primaire comme le font la FED et la BoE.

4.        Les acquisitions d’obligations  cibleront des titres dont la maturité est de 1 à 3 ans.

5.        Aucune cible explicite pour les spreads, pas d’indication sur des niveaux spécifiques d’écarts de taux d’emprunt entre les Etats de la zone euro au-delà desquels la BCE interviendrait en achetant des titres de dette.

6.        Les achats d’obligations seront complètement stérilisés et n’entraineront donc pas d’augmentation de la masse monétaire.

7.        L’intervention de la BCE est soumise à la stricte condition que les Etats aient au préalable fait appel à l’aide du Fonds de secours européen (FESF ou MES) et aient accepté les programmes d’ajustement définis par les instances européennes.

8.        La conditionnalité peut toutefois porter sur le programme complet ou « allégé » d’ajustement.

9.        La BCE renonce à son statut de créancier privilégié par rapport aux autres créanciers privés.

10.    Les règles d’éligibilité des titres acceptés comme collatéraux lors des opérations de refinancement sont assouplies, par exemple la nécessité d’un seuil de notation minimum est suspendue pour les pays éligibles au programme OMT.

Comment faut-il apprécier ce nouveau programme ?

Dès son annonce, de nombreuses voix se sont élevées pour saluer « l’audace » de ce programme et se féliciter de la « détermination » de la BCE « prête à faire tout ce qui est nécessaire ». De nombreux économistes ont alors applaudi « ce programme tant attendu » qui « sauverait la zone euro ». Qu’en est-il ?

A y voir de près, on peut constater que :

1.        La BCE, par le biais de ce programme, interviendra toujours sur le marché secondaire et non sur le marché primaire. Elle refuse d’acheter des titres de la dette publique directement aux États mais elle les achète (sur le marché secondaire) aux institutions financières qui les ont achetés aux États. La BCE refuse donc toujours d’annoncer qu’elle pourrait agir comme prêteur en dernier ressort pour des Etats en difficulté, ce qui pourrait dans une certaine mesure dissuader les attaques spéculatives menées contre ces Etats. Elle seule pourrait le faire.

2.        Cette intervention sur le marché secondaire doit amener une baisse des taux des nouvelles obligations souveraines émises. A chaque intervention, les marchés se calment quelque peu… mais la durée du répit est de plus en plus courte, et les effets se dissipent. La baisse des taux des nouvelles obligations émises entraine une hausse des cours des obligations (déjà émises) rachetées sur les marchés secondaires aux institutions financières jusqu’à l’égalisation des rendements.

3.        L’action de la BCE vise à agir sur la courbe des taux de 1 à 3 ans. Cela incitera donc à émettre surtout des titres avec une maturité inférieure à 3 ans avec pour effet le raccourcissement de la maturité moyenne des créances souveraines, et une augmentation du risque d’instabilité financière.

4.        La conditionnalité exige que la BCE intervienne uniquement sur les titres des pays ayant demandé l’aide du MES et accepté les programmes d’ajustement définis par les instances européennes. Il peut s’agir d’un plan entier ou d’un programme préventif plus souple.  Cela autorise la BCE à une grande flexibilité en termes de conditions ex ante et de surveillance en fonction du pays. Cela revient aussi à accorder beaucoup d’importance et de poids aux politiques d’austérité exigées et imposées qui se trouvent  ainsi consacrées. Or ces politiques d’austérité entraînent un cercle vicieux : perte du pouvoir d’achat, ralentissement de l’activité économique, baisse des recettes fiscales, déficit et endettement. Elles enfoncent davantage les Etats européens dans la crise.

5.        Le pouvoir donné à la BCE est exorbitant pour plusieurs raisons. Ainsi la BCE n’annonce pas ex ante quels spreads elle cible, ni quelles quantités elle compte acheter, ni jusqu’à quand. Elle peut décider si c’est un plan d’ajustement entier ou souple qui doit être accepté. Elle a entière discrétion pour décider et agir. Et comme si cela ne suffisait pas, M. Draghi a annoncé que l’intervention du FMI serait «souhaitable » même si elle n’était pas nécessairement indispensable.

6.        A l’issue du rachat des titres aux institutions financières sur le marché secondaire, il est vraisemblable que ces dernières vont se retrouver avec des liquidités importantes en échange des titres de la dette qu’elles auront revendus.  Qu’en feront-elles ? Sur quel autre segment, marché, iront-elles ? à qui le tour ? Quel contrôle la BCE a-t-elle sur l’utilisation faite des liquidités qu’elle aura fournies ?

7.        Face à la gravité de la situation de la zone euro, il est difficile de croire que la sortie de crise pourrait être résolue par une action visant la seule baisse des taux de 1 à 3 ans. Les moyens colossaux mobilisés montrent que la BCE agit plus en qualité de fournisseur et gestionnaire de la liquidité mise à la disposition des banques sans autre condition plutôt que garante de la stabilité financière.

8.        Alors que la BCE intervient sur le marché secondaire, que les banques et investisseurs seront libres de l’utilisation des liquidités fournies par la BCE, les Etats quant à eux, ainsi que le MES, continueront à dépendre et à être sous la coupe des marchés financiers.

9.        La BCE renonce à son statut de créancier privilégié, par rapport aux autres créanciers privés, sur les titres acquis. En cas de défaut ou de restructuration des dettes en question,  c’est un gage supplémentaire pour les investisseurs privés car la BCE participera aux pertes.

10.    La BCE assouplit ses conditions de garantie en supprimant la notation minimum exigée pour les titres acceptés comme collatéraux lors des opérations de refinancement et les obligations d’Etat qu’elle achète dans le cadre de l’OMT. Cela devrait intéresser  les banques qui pourront ainsi transférer ces titres à la banque centrale.

Ainsi, au total, loin de représenter la nouvelle page qu’on nous promet dans l’histoire de l’intervention de la BCE, le nouveau programme OMT symbolise son entêtement à refuser, en temps de crise, à intervenir comme prêteur en dernier ressort des Etats de la zone euro, et témoigne que son action est entièrement consacrée à la défense des seuls intérêts des  institutions financières.



[1] Transactions monétaires fermes

[2] ECB, Monthly Bulletin October 2012.