Toute réforme des retraites devrait rendre le système plus juste, or Emmanuel Macron, en fixant l’âge de départ à la retraite à 64 ou 65 ans, ne cherche qu’à réduire les dépenses sociales, écrit l’économiste « atterré » Henri Sterdyniak. Une tribune dans le Monde du 4 janvier 2023.
Mettre une réforme des retraites en tête de l’agenda en 2023 est malvenu : le système des retraites sera excédentaire de 3 milliards d’euros en 2022, son évolution est contrôlée. Rien ne le justifie, sinon un objectif politique : montrer la capacité d’Emmanuel Macron à réduire les dépenses sociales. Des questions comme la situation des services publics, la réindustrialisation et la transition écologique sont plus cruciales.
Le système français de retraite est actuellement satisfaisant. Les retraités bénéficient d’un niveau de vie équivalent à celui des personnes en activité. Le taux de pauvreté des personnes âgées est nettement plus faible que celui de l’ensemble de la population. Le taux de remplacement du salaire par la retraite est plus élevé pour les bas que pour les hauts salaires, de l’ordre de 85 % contre 60 %. L’âge ouvrant le droit à une retraite à taux plein est légitimement plus élevé pour ceux qui ont commencé à travailler plus tard, ce qui compense, en partie, les différences d’espérance de vie.
Jusqu’à présent, malgré les réformes passées, le niveau de vie relatif des retraités a été préservé en moyenne, de plus en plus de femmes ayant effectué une carrière complète et ayant droit à une retraite satisfaisante. Toutefois, depuis 2015, le ratio entre pensions et salaires se dégrade et le taux de pauvreté des retraités augmente. Depuis 2017, de nombreux retraités ont subi une baisse de 9,6 % de leur pouvoir d’achat, en raison de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la sous-indexation des pensions.
Pas de risque de faillite
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) se livre, chaque année, à un exercice hors-sol, une projection des retraites jusqu’en 2070, en maintenant les règles actuelles, et sans tenir compte des inflexions qu’imposera la transition écologique.
Du fait des réformes passées, l’âge moyen de départ à la retraite passerait de 62,3 ans en 2021 à 64 ans dès 2035, mais le ratio retraités-actifs augmenterait de 28 %. Dans l’hypothèse centrale (hausse de 1 % par an de la productivité du travail, taux de chômage à 7 % de la population active), la part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB), 13,8 % en 2021, n’augmenterait que jusqu’à 14,5 % en 2032, avant de diminuer à 14,1 % en 2050.
Les déficits projetés sont de l’épaisseur du trait : 0,45 % du PIB par an en moyenne dans les vingt-cinq années à venir, si l’Etat ne réduit pas ses subventions aux régimes de retraites ; 0,15 %, si le taux de chômage baisse à 4,5 %. Ils pourraient être financés par la réduction des exonérations de cotisation sociales, par les excédents de l’Unédic ou par la fin du remboursement de la dette sociale.
Cependant, cette quasi-stabilité de la part des retraites n’est obtenue que par une forte baisse du niveau des pensions relativement à celui des salaires (– 16 % en 2050, – 26 % en 2070), du fait du maintien de l’indexation des salaires pris en compte et des pensions sur les prix, et non sur les salaires.
Ainsi, le minimum vieillesse, de 48 % du revenu médian, serait de 36 % en 2050, très au-dessous du seuil de pauvreté. Le taux de remplacement net après une carrière complète au smic devrait être de 85 %, selon la loi de 2003. Il est actuellement de 80 %. Il baisserait à 69 % pour la génération 2000. Cette paupérisation des retraités est-elle socialement acceptable ? Le système des retraites ne court pas de risque de faillite, mais la hausse des dépenses et des recettes est nécessaire.
Augmenter le nombre de chômeurs
Ayant dû renoncer à instaurer un régime unique par points, Emmanuel Macron maintient son projet d’âge de départ à la retraite à 64 ou 65 ans. Le gouvernement s’est refusé à toute avancée sur la question de la pénibilité ; la baisse programmée du niveau relatif des retraites n’est pas remise en cause. Fixer le minimum contributif à 1 200 euros en 2023 ne ferait que se conformer à la loi de 2003 ; ce niveau ne serait pas rétroactif, ne s’appliquerait qu’aux actifs ayant effectué une carrière complète, ne serait pas indexé sur le smic.
Les conditions de départ sont actuellement satisfaisantes : un départ possible à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt ; à 62 ans pour tous ; le taux plein à 65 ans pour ceux qui ont débuté à 23 ans.
Une hausse brutale de l’âge requis frapperait ceux qui ont commencé à travailler avant 23 ans, en particulier des ouvriers, qui ont du mal à se maintenir en emploi après 58 ans. Elle ne créerait pas des emplois pour les 1,2 million de personnes qui s’ajouteraient à la population active disponible.
Ce ne sont pas les 62-65 ans qui prendront les emplois en tension (soignants, infirmiers, enseignants, conducteurs de train ou de bus…), dont les salaires et les conditions de travail doivent être repensés. Ce ne sont pas eux qui se formeront aux emplois qualifiés de demain pour la réindustrialisation et le tournant écologique.
Le risque est grand d’augmenter le nombre de chômeurs, de bénéficiaires de l’allocation spécifique de solidarité (ASS) ou du revenu de solidarité active (RSA). Faut-il compter sur la hausse du taux de chômage ainsi provoquée pour faire baisser les salaires ?
L’objectif d’une réforme devrait être de rendre le système plus juste. Pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes, la décote devrait être supprimée pour les basses retraites (inférieures au smic) ; la majoration pour enfant élevé devrait devenir forfaitaire et être versée en priorité à la mère. Les branches professionnelles devraient être fortement incitées à définir des emplois pénibles qui donneraient lieu à une retraite précoce. Les jeunes chômeurs devraient recevoir une allocation d’insertion soumise à cotisation. Les travailleurs âgés, en chômage de longue durée, sans espoir de retrouver un emploi, devraient bénéficier d’une retraite à taux plein.
Assurance sociale, la retraite doit être financée par des cotisations des personnes couvertes. Maintenir le niveau relatif des retraites et des conditions satisfaisantes de départ nécessite de faire passer la part des retraites dans le PIB en 2050 à 16,5 %, ce qui devra être financé par une hausse du taux de cotisation retraite de 5 points (soit 0,25 point par an pendant vingt ans). En échange, les jeunes générations devront avoir la garantie qu’elles auront une retraite convenable. Faut-il leur rappeler que, dans trente ans, ce sont elles qui seront aux commandes ?