D’autres politiques économiques sont possibles

Adhérer

La tribune de Philippe Askenazy sur "l'Etat employeur à la dérive":

Cette rentrée est marquée par l’attention toute particulière portée aux fonctionnaires. Derrière les incantations se cache une carence de la gestion des ressources humaines, qui s’accentue depuis le début du siècle. Relations sociales, temps de travail, recrutement, rémunération, mobilité, formation, santé et sécurité… Tous ces aspects du management public partent à la dérive.

Après un quinquennat de Nicolas Sarkozy marqué par des relations sociales conflictuelles, une nouvelle ère semblait s’ouvrir. Las, le gouvernement, après avoir indiqué que son projet salarial ne serait valide que si une majorité syndicale se dégageait, a décidé de mettre en œuvre un accord minoritaire. On peut, certes, vilipender les syndicats non signataires, mais pourquoi donc le gouvernement s’est-il imposé une règle pour mieux la violer ?

La gauche avait déjà mis en œuvre les 35 heures dans la plus grande confusion, sans prise en considération ni de l’activité des agents ni même de l’équité. Ainsi, les enseignants n’ont bénéficié ni de réduction horaire ni obtenu de jours de RTT. Les hauts fonctionnaires, les médecins ou les chercheurs, eux, disposent désormais de jours de RTT, que, souvent, ils ne prennent pas pour remplir leur tâche. Des millions de jours de congés en souffrance s’accumulent. Si bien que, aujourd’hui, être à 35 heures dans la fonction publique n’a souvent pas grand sens.

Pis, alors que l’on peut tracer assez aisément des prévisions à moyen terme tenant compte des départs à la retraite et des besoins de la population, les recrutements répondent aux à-coups des décisions politiques. Comment disposer d’un vivier de candidats pour un concours exigeant une formation longue, si, pendant des années, il n’y a pas de poste à pourvoir ?

Inversement, quel gâchis pour l’Etat employeur et ces étudiants, lorsque les vannes se referment brusquement. Pour lisser les effectifs, les employeurs publics recourent de plus en plus à des contractuels coûteux, car alignés sur les rémunérations du privé. L’exemple donné par le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, était excellent : embaucher un informaticien contractuel coûterait à l’Etat autour de 40 % de plus qu’un fonctionnaire.

Enormes écarts salariaux

La politique salariale est certainement la plus caricaturale. Alors que, dans la plupart des pays soumis à forte contrainte budgétaire les plus hauts salaires de la fonction publique ont subi des ponctions, le contraire s’est organisé en France en catimini. La rémunération des agents est la somme d’un traitement de base, de primes et d’indemnités.

Pour un même montant de base, les écarts salariaux peuvent être énormes : les primes représentent moins de 10 % pour les enseignants, mais 40 % pour un ingénieur de l’Etat ; les corps de la botte [les corps les plus prestigieux] de l’Ecole nationale d’administration doublent pratiquement leur traitement de base. Cette base dépend de la valeur du point d’indice. Depuis mai 2007, le point d’indice a chuté de près de 8 % en termes réels. Le résultat est un sentiment croissant de déclassement minant la motivation dans la plupart des métiers de l’Etat.

Mais, pour certains « A+ » (les corps dont l’indice terminal est le plus élevé), les chefs de corps ou les syndicats du corps ont habilement négocié des convergences de carrière et des primes par le haut. Très net sous la présidence de Nicolas Sarkozy pour la haute fonction publique d’Etat qui peuple les cabinets ministériels, le mouvement s’est, ensuite, étendu, notamment dans la fonction publique territoriale : allongement de la carrière des administrateurs territoriaux (échelons nouveaux, création du grade d’administrateur général) en 2013, des médecins territoriaux en 2014…

Or, que prévoit l’accord salarial minoritaire de 40 pages endossé par le premier ministre, Manuel Valls ? Un reprofilage précis – au point près – assorti d’un calendrier strict d’application, pour les carrières des fonctionnaires C, B, A et… « la mise en place d’un groupe de travail » pour les fonctionnaires A+ !

La fonction publique et les citoyens méritent une stratégie cohérente et – enfin – transparente des ressources humaines.

  • Philippe Askenazy (Chercheur au CNRS/Ecole d'Economie de Paris)