Comme l’ont montré tant la période 1999-2007 de montée des déséquilibres, que la période 2009-2015 de politiques d’austérité, la zone euro souffre de graves défauts de fonctionnement. Les causes en sont bien connues : une monnaie unique, le même taux d’intérêt, le même taux de change appliqués à des pays différents ne conviennent à aucun des pays membres ; les règles rigides de politique budgétaire inscrites dans les traités sous la pression de l’Allemagne renforcent les récessions ; les dettes publiques ne sont pas garanties par la banque centrale, ce qui ouvre le champ à la spéculation, fragilise les finances publiques et les systèmes bancaires nationaux ; les oligarchies nationales et européennes veulent imposer une stratégie : austérité budgétaire/recherche de compétitivité/réformes structurelles, qui met en cause le modèle social européen, brise les cohésions sociales, fragilise l’économie à la merci des crises financières. Il n’a pas été mis en place une véritable coordination des politiques économiques, c’est-à-dire une stratégie économique utilisant la politique monétaire, les politiques budgétaires, fiscales, sociales et salariales pour rapprocher les pays du plein emploi, pour corriger les déséquilibres entre pays, pour organiser la mobilisation pour la transition écologique. Malgré ces défauts, les classes dirigeantes persistent dans leur projet : utiliser la construction européenne pour imposer une contre-révolution libérale aux pays membres.
Les instances européennes utilisent les défauts de la zone euro pour proposer sans cesse de nouveaux pas vers une Europe fédérale et technocratique. Puisque l’Union monétaire ne fonctionne pas, il faut l’Europe bancaire, l’union des marchés des capitaux, puis l’Europe budgétaire, l’Europe politique… À chaque étape, le contenu des politiques échappe au débat démocratique pour être imposé par la technocratie libérale. Ainsi, l’Europe bancaire n’empêche pas les banques de dépôts de participer aux marchés financiers dont le rôle serait même accru par l’union des marchés de capitaux. L’Europe budgétaire suppose un contrôle renforcé des instances européennes sur les politiques nationales de sorte qu’elles devraient obligatoirement se conformer aux règles budgétaires, aussi inappropriées qu’elles soient. Le projet d’assurance chômage européen introduit un droit de regard de la Commission sur les droits du travail des pays membres.
Malheureusement, certains économistes européens, partisans du fédéralisme libéral, s’associent en permanence à cette démarche, en refusant de tirer les leçons de l’échec de la construction actuelle de la zone euro. Ils n’ont jamais montré les incohérences de l’organisation mise en place par le Traité de Maastricht, ils n’ont jamais dénoncé les règles européennes budgétaires stupides, ils ont approuvé les politiques d’austérité et minimisé leurs impacts sur l’emploi, ils croient aux vertus des marchés financiers, à leurs capacités de contrôler les politiques économiques. Goldman-Sachs sait mieux que les peuples ce qu’il convient de faire.
Ainsi, quatorze économistes allemands et français ont publié le 17 janvier un nouveau texte : « Réconcilier solidarité et discipline de marché dans la zone euro » qui reconnaît certes « les fragilités financières persistantes » de la zone, mais qui propose en fait d’en accentuer les causes en affaiblissant encore les États et en augmentant l’influence des marchés financiers et des instances européennes, pourtant responsables les uns de la crise, les autres des politiques d’austérité qui ont suivi. Sous prétexte de tenir compte du point de vue de certains États membres, ces économistes acceptent ainsi le renforcement d’une prétendue « discipline de marché » comme si ce n’étaient pas les marchés qui, de par leur exubérance et leur aveuglement, auraient besoin d’être disciplinés. Ils feignent de croire que la croissance des dettes publiques depuis la crise s’explique par l’indiscipline des États membres en oubliant qu’elle est encore plus prononcée au Japon et aux États-Unis, qu’elle provient des déséquilibres induits par la crise du capitalisme financier. Ces économistes font donc six propositions, dangereuses sur le plan économique, mais aussi mal pensées, comme si la passion européenne aveuglait les esprits les plus fins.
Pour lire cette note dans son intégralité, téléchargez le PDF ci-dessous.