Un entretien avec Jean-Marie Harribey dans l’Humanité du 11 février.
Dans son dernier ouvrage, En finir avec le capitalovirus, Jean Marie Harribey interroge de manière critique la crise que nous traversons, et travaille à une « alternative possible ».
Dans votre ouvrage, vous analysez la crise du Covid comme un révélateur de l’«absurdité » du capitalisme. En quoi le capitalisme actuel peut-il être qualifié de cette manière ?
J’ai donné à ce livre le titre En finir avec le capitalovirus, avec un sous-titre « L’alternative est possible », pour signifier deux choses. Fondamentalement, le capitalisme broie simultanément la force de travail et la nature pour assouvir sa soif de profit. Tout doit devenir marchandise, même au risque de compromettre les conditions de la vie sur la planète Terre, tant celles des humains que celles de tous les vivants, ainsi que les équilibres écologiques. Au-delà même de la brutalité et de la vénalité de l’exploitation, c’est le comble de l’absurde. Et s’il fallait encore une preuve supplémentaire de l’inhumanité du capitalisme, on la trouverait dans la violence du traitement infligé aux personnes âgées dans les Ehpad possédés par la multinationale Orpea. Marchandiser tout le vivant va jusqu’à développer un marché de la mort.
Pourquoi faites-vous de cette crise l’expression d’une tendance structurelle du capitalisme contemporain et non pas l’effet d’un facteur externe ?
La crise déclenchée par le Covid doit être reliée à la dynamique de l’accumulation du capital, qui se nourrit d’une croissance économique sans fin, et aux transformations des cinquante dernières années néolibérales. La déforestation, l’agriculture intensive, l’urbanisation toujours plus étendue ont contribué à effacer peu à peu les frontières séparant les habitats de la faune sauvage et ceux des humains. La survenue des zoonoses en est grandement facilitée. La libre circulation des marchandises dans le monde a fait le reste pour, en quelques semaines, produire une pandémie. Dès lors, on ne peut croire à un accident de parcours, il convient au contraire de mettre ce choc en relation avec l’évolution du système capitaliste mondialisé. Or, celui-ci est frappé depuis plus de deux décennies par une forte diminution de la progression de la productivité du travail dans tous les pays, errodant ainsi les potentialités de rentabilité du capital – qui ne peut être rétablie que par une restriction des salaires et des droits sociaux et par une fuite en avant financière. Dit dans les termes de Marx, nous avons affaire, en ce début du XXIe siècle, à une conjonction de contradictions sociales et écologiques sur lesquelles est venue se greffer la récession due à la pandémie.