D’autres politiques économiques sont possibles

Adhérer

Commençons par une question bleue : dans le prix d’une marchandise, n’y a-t-il que le coût du travail de compté ? Oui ou non ? Non. Bravo. Vous avez gagné le droit de passer à la question blanche.
Question blanche : les profits sont-ils inclus dans les prix ? Oui ou non ? Oui. Encore bravo, vous avez accès à la question rouge.
Question rouge qui fâche : au cours des trente dernières années, qu’est ce qui a le plus augmenté, les salaires et cotisations sociales ou les profits ? Attention, vous n’avez droit qu’à une seule réponse. Plus que cinq secondes avant la publication du rapport Gallois ! Chut, le public, ne soufflez pas !… Euh, les salaires, puisque tout le monde le dit.
Oh ! que c’est dommage, vous avez cru les gens qui susurraient la petite musique de la nuit libérale. Mais ce n’était pas la bonne réponse. Je suis désolé. Mais vous n’avez pas tout perdu : je vous remets une note très intéressante publiée par Attac et la Fondation Copernic.

Voilà résumé en quelques mots sibyllins l’essentiel du débat escamoté sur le fameux « choc de compétitivité » dont aurait besoin l’industrie française.

Le coût du travail, omniprésent

Coût de l’heure de travail dans l’industrie française : 33,16 €.
Coût de l’heure de travail dans l’industrie allemande : 33,37 €.
C’est l’inverse pour les services marchands : respectivement 32,08 € contre 26,81 € (mais cela ne concerne que peu les exportations).
Dans l’industrie automobile, le coût de l’heure de travail en Allemagne est de 29 % supérieur à celui de la France.
Au sein des pays membres de l’Union européenne comparables à la France, les plus grandes différences entre eux ne portent pas sur le coût global du travail mais sur la structure de celui-ci, c’est-à-dire sur la répartition entre salaires directs et financement de la protection sociale. La compétitivité des entreprises n’est donc pas liée au poids des « charges sociales » comme le clament à cor et à cri le Medef : en effet, les comparaisons internationales montrent que la part salariale dans la valeur ajoutée ne dépend pas de l’importance des cotisations sociales.
Il y a dix ans, les coûts allemands étaient les plus élevés dans l’industrie, et la modération salariale a produit son effet à partir de 2003 avec la mise en œuvre de l’austérité Schröder-Hartz, des réformes du marché du travail et de la baisse des cotisations patronales compensée par l’augmentation de la TVA.
Le Bureau of Labor Statistics américain confirme le constat général précédent tiré des statistiques européennes : le coût horaire du travail dans l’industrie manufacturière était en 2010 de 40,4 dollars dans la zone euro, 40,6 dollars en France, et 43,8 dollars en Allemagne. Le coût français est donc à peine supérieur de 0,5 % à la moyenne de la zone euro et inférieur de 7,3 % à celui de l’Allemagne.
Plus intéressant encore est l’examen de l’évolution du coût salarial unitaire, qui rapporte le coût horaire à la productivité du travail. La productivité augmente plus faiblement dans les services marchands que dans l’industrie. De ce fait, en moyenne, le coût unitaire baisse sensiblement dans l’industrie (en France, en Allemagne, en Irlande comme dans l’UE à 15 et la zone euro) et augmente dans les services marchands. Le coût salarial unitaire dans l’industrie baisse en moyenne parce que la productivité augmente plus vite que le coût horaire, sauf en Grèce, en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni et au Danemark. Le coût unitaire français baisse en moyenne de 0,5 % par an de 1996 à 2008 et le coût unitaire allemand baisse de 0,7 % par an. Comme c’est dans les pays où les coûts unitaires étaient les plus bas qu’ils progressent le plus, la tendance est plutôt à la convergence de ces coûts.

Le coût du capital, le grand absent

Si on se penche sur la période où s’est produite la dégradation du commerce extérieur français (grosso modo depuis le début de la décennie 2000) qui s’expliquerait par le coût du travail excessif, on voit alors que  la part des revenus distribués par les sociétés non financières a pratiquement doublé par rapport à leur EBE, et presque doublé par rapport à leur valeur ajoutée brute (VAB), déjouant donc la coupure avant/après la crise, au point d‘absorber plus des 4/5 de leur EBE. Qu’il y ait crise ou pas, la part prélevée par le capital est de plus en plus élevée et obère la capacité des entreprises à faire face à tous les aspects de la compétitivité.
En proportion de leur valeur ajoutée brute, la part que les sociétés non financières versaient à leurs actionnaires est passée de 5,6 % en 1999 à 9 % en 2011.

image0011.gif

 Source : INSEE, TEE de 1999 à 2011.

On ne s’étonnera pas alors que les efforts en matière d’investissements, de recherche et développement soient insuffisants pour améliorer la compétitivité dite hors prix.

Au fait, la compétitivité, qu’est-ce que c’est ?

C’est un concept absurde : il transpose un raisonnement à l’échelle d’une entreprise au plan macroéconomique, ce qui n’a aucun sens, parce que la baisse du « coût salarial » signifie baisse des revenus et donc baisse de la demande de consommation et d’investissement. La baisse des coûts d’une entreprise peut améliorer sa compétitivité parce qu’elle n’handicape pas la demande globale, mais la baisse des coûts de toutes les entreprises tue l’économie globale.
C’est un concept piégeant : si la baisse des cotisations sociales est répercutée pour baisser les prix, l’amélioration du pouvoir d’achat est annihilée par la fragilisation de la protection sociale ou bien par la hausse de la fiscalité compensatrice ; si la baisse des cotisations sociales est utilisée par les entreprises pour augmenter leurs marges bénéficiaires, le « choc de compétitivité » est alors un coup pour rien sauf pour les actionnaires, et, en outre, l’effet récessif est garanti puisque la baisse de la demande entraînera l’arrêt de l’investissement.
C’est un concept non coopératif : tous les pays ne peuvent avoir un commerce extérieur excédentaire, et si tous adoptent des politiques de baisse des coûts salariaux, la récession est pour tout le monde à la fois.
C’est un concept idéologique : il s’agit de faire payer la facture de la crise aux travailleurs sous couvert de compétitivité. Et cela, au nom d’un argument vicieux : il faut alléger les « charges » pesant sur le travail. C’est oublier que tout vient du travail : il n’y a pas d’autre source de la valeur économique et donc pas d’autre source du prélèvement. En revanche, l’assiette de calcul des prélèvements importe beaucoup, car se jouent à cet endroit les rapports de force entre classes sociales. Le gouvernement reprend la plus grande partie des propositions du rapport Gallois. Ce faisant, il renie trois fois sa parole par les trois ralliements aux dogmes libéraux suivants :
–       Ralliement à la croyance que les salaires et les cotisations sociales sont la cause première de la désindustrialisation et du chômage ; exit la crise capitaliste.
–       Ralliement à la soi-disant nécessaire baisse des dépenses publiques.
–       Ralliement à la TVA anti-sociale et abandon d’une véritable réforme fiscale par refus de toucher aux dividendes, dont la forte hausse grève l’investissement et pèse sur les prix (revoir la question blanche ci-dessus).

C’est un concept doublement dépassé : il fait du travail la variable d’ajustement et il suppose que le « choc de compétitivité » va provoquer un « choc de croissance » salutaire. Il postule donc la possibilité de poursuivre indéfiniment une croissance économique aveugle et il remet aux calendes grecques la transition écologique.
Question banco : quel est le pays européen où la baisse du coût du travail est la plus avancée et qui le condamne à terme à devoir vendre ses îles au plus offrant ? Trente secondes pour répondre…