Dans un contexte de surenchère de réformes néolibérales du marché du travail, présentées comme les remèdes à tous les maux de l’économie et de la société française, cette note soutient que ces réformes ont déjà eu lieu et ont fait la preuve éclatante de leur échec contre le chômage. Elle revient sur les trente dernières années qui ont vu se multiplier ces réformes sans « inverser la courbe » du chômage. Elle commence par un retour critique sur l’approche économique néoclassique qui inspire ces réformes. Elle aborde ensuite l’actualité des réformes, à savoir le code du travail qui fait l’objet d’un feu nourri depuis quelques mois, illustrant bien la manière dont se fabriquent les réformes, à coup de rapports publics dont les contributeurs appartiennent souvent à un cercle restreint d’experts. Enfin, elle analyse les réformes néolibérales du marché du travail à l’œuvre depuis trente ans (flexibilisation du contrat de travail, activation des chômeurs et des allocataires de minima sociaux, baisse du coût du travail) en montrant que leur inefficacité contre le chômage est documentée par de nombreuses évaluations. En conclusion, la note propose des pistes pour d’autres réformes de l’emploi.
Trente ans de réformes contre l’emploi
On assiste ces dernières années en France à une surenchère de rapports préconisant des « réformes structurelles du marché du travail », au nom de la lutte contre le chômage, de la « sécurisation » des trajectoires professionnelles, ou de la compétitivité. Ces réformes qui se donnent pour objectif de rendre le marché du travail plus « flexible », plus concurrentiel, sont d’inspiration néolibérale[1]. Elles entendent déréguler l’emploi en réduisant le rôle de la loi et de l’intervention publique, mais aussi « moderniser » le service public de l’emploi, en particulier en y intégrant des opérateurs privés et davantage de concurrence. Dénonçant une protection sociale qui briderait l’activité économique, elles se proposent de la réformer pour la mettre au service de la compétitivité des entreprises. Les maux français[2], à commencer par le taux de chômage élevé, seraient donc liés à une régulation excessive de l’emploi et à une protection sociale mal conçue. D’un côté, le marché du travail serait trop « rigide », entravé par un droit du travail « obèse » et doté d’institutions peu efficaces. De l’autre, la protection sociale serait à la fois trop coûteuse pour les employeurs et insuffisamment « incitatrice » à l’activité pour les travailleurs, que sa « générosité » découragerait de travailler.
Une incursion dans l’histoire des régulations et des politiques de l’emploi révèle le caractère paradoxal de cet engouement pour les réformes structurelles et de la surenchère autour du code du travail. La France a déjà mené de très nombreuses réformes néolibérales de son marché du travail depuis les années 1980, réformes qui n’ont pas tenu leurs promesses en matière d’emploi : loin d’avoir réduit le chômage, elles ont alimenté la précarité. Ces réformes sont allées à rebours de celles qui, après 1945, avaient mis en place les institutions de la protection sociale et de l’emploi, consolidé les droits des travailleurs, et ouvert la voie à trente années de prospérité économique, avec des niveaux de chômage historiquement bas… démontrant s’il en était besoin que le renforcement des droits sociaux des travailleurs est parfaitement compatible avec la performance économique et le (quasi-) plein emploi.
Ces très nombreuses réformes néolibérales ont fait la preuve en trente ans de leur inefficacité. Et tout se passe pourtant comme s’il n’y en avait jamais assez. Dans une interview au quotidien Le Monde[3] du 6 janvier 2016, le ministre de l’économie Emmanuel Macron affirmait très justement qu’« on n’a pas tout fait pour l’emploi »… mais loin de proposer une autre politique, il s’accrochait aux vieilles recettes : « une politique de l’offre et de compétitivité », avec Uber comme nouvel horizon de sortie de l’exclusion. Même antienne du côté d’économistes néolibéraux. Dans une interview pour un article du 17 janvier dans le même quotidien, curieusement intitulé « Ce qu’on n’a jamais essayé contre le chômage »[4], Pierre Cahuc et André Zylberberg affirmaient martialement « aujourd’hui, en France, le coût du travail au niveau du salaire minimum est encore un ennemi de l’emploi » pour conclure qu’il fallait continuer à réduire les « charges » patronales, subventionner davantage les embauches et utiliser le RSA pour compenser la faiblesse des salaires. Dans le même article, Francis Kramartz proposait de raccourcir un peu plus les durées d’indemnisation et de renforcer les sanctions contre les chômeurs, faisant comme si ces sanctions n’existaient pas (« les gens ne devraient pas pouvoir tout refuser ! »).
Cette note se propose de revenir sur ces trente années de réformes néolibérales du marché du travail qui, comme le montrent les évaluations (et l’absence « d’inversion de la courbe » du chômage), ont fait la preuve éclatante de leur échec. Elle commence par un retour critique sur l’approche économique néoclassique qui inspire ces réformes, en soulignant que la théorie économique offre des approches alternatives qui pourraient utilement inspirer d’autres réformes de l’emploi (1). Elle revient ensuite sur l’actualité des réformes, à savoir le code du travail qui fait l’objet d’un feu nourri de la part du Medef, du gouvernement, d’économistes néolibéraux et de quelques juristes (2). Elle revient aussi sur la manière dont se fabriquent ces réformes, à coup de déclarations politiques et de rapports publics commandés à des experts, souvent choisis dans le même cercle restreint (3). Enfin, elle présente un panorama des réformes néolibérales du marché du travail à l’œuvre depuis trente ans (flexibilisation des contrats de travail, activation des chômeurs et des allocataires de minima sociaux, baisse du coût du travail) en discutant leurs effets qui sont documentés par de très nombreuses évaluations (4). En conclusion, la note propose des pistes pour d’autres réformes de l’emploi.
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[1] On parlera de réformes néolibérales dans la mesure où ces réformes ne cherchent pas seulement à rendre le marché du travail plus flexible en le dérégulant mais cherchent aussi à mettre l’Etat social, l’ensemble des politiques sociales, au service du marché et de la logique concurrentielle.
[2] Emmanuel Macron n’a pas hésité à affirmer au lendemain des attentats de novembre 2015 que les « fermetures » de l’économie française engendraient des frustrations qui alimentaient le terrorisme, justifiant au passage ses réformes (Le Monde, 22 novembre 2015).
[3] Le Monde, 6 janvier 2016.
[4] Le Monde, 17 janvier 2016.