A la mi-2014, l’économie française est sur une pente dangereuse. La croissance, nulle depuis un an, s’accompagne d’une hausse sans fin du chômage, d’une décélération des prix, en un mot d’un risque grandissant de déflation. Au lieu de prendre acte de ces résultats catastrophiques et de l’échec de la voie suivie, François Hollande a choisi d’accélérer dans la même direction, en se soumettant toujours davantage aux exigences du Medef.
Depuis deux ans, le Medef s’est lancé dans une campagne agressive pour obtenir de cogérer l’État. Les thèmes de cette campagne sont martelés directement par ses porte-parole et par les nombreux médias qu’il contrôle ou influence. Le cœur du message asséné est simple : seules les entreprises privées sont productives ; seuls les chefs d’entreprise créent de l’emploi ; seules les entreprises savent ce qu’il faut produire ; seules des entreprises compétitives, entendues comme ayant des salaires et des impôts faibles, peuvent le faire. C’est d’elles que dépend notre avenir et tout doit être mis à leur service. Comme si les salariés du public : les enseignants, les infirmières, les employés d’EDF ou de la RATP n’avaient aucune utilité ni aucune productivité. Comme si les entreprises, ce n’était pas d’abord des salariés qui produisent. Comme si de nombreuses entreprises n’organisaient pas la délocalisation de leurs emplois hors de France. Comme si les entreprises n’étaient pas étroitement dépendantes des débouchés, lesquels sont étouffés par les politiques d’austérité ou de compétitivité. Comme si la puissance publique n’avait pas son mot à dire pour orienter la production afin, en particulier, de prendre en compte la contrainte écologique.
Le Medef réclame une baisse de 120 milliards des impôts des entreprises, ce qui signifierait démanteler et privatiser la Sécurité sociale au profit des groupes d’assurances. Il demande que les dépenses publiques et sociales diminuent de 100 milliards. Mais, en même temps, les entreprises investissent peu en France, de sorte qu’il s’agit d’une stratégie à la Gribouille. Quels seront les débouchés des entreprises si la consommation stagne et les dépenses publiques chutent ?
Le tragique est que cette opération a été couronnée de succès. Manuel Valls se fait applaudir par le Medef en reprenant, mot pour mot, les termes même de cette campagne. Il s’est ainsi engagé à satisfaire toutes leurs revendications : le travail de nuit et du dimanche, le détricotage des 35 heures, la baisse des cotisations sociales, la hausse des seuils sociaux. Le tout au moyen d’ordonnances pour interdire tout débat au Parlement.
Au motif que leur taux de marge ait baissé (ce qui est habituel en période de crise), le gouvernement a déjà promis 40 milliards aux entreprises sans engagement ou contrepartie véritable. Cette gigantesque subvention publique risque de venir gonfler encore les dividendes des actionnaires des entreprises du CAC 40, déjà en hausse de 30% sur un an (au deuxième trimestre 2014) alors que l’investissement reste, lui, désespérément plat.
Non, l’entreprise ne doit pas être organisée sur un modèle féodal, avec un patron tout-puissant, ponctionnant les bénéfices au profit des actionnaires. Non, il ne faut pas réduire la place des syndicats en doublant les seuils sociaux. Il faut au contraire augmenter les capacités d’intervention des salariés et des citoyens dans les entreprises. Faut-il s’exclamer « Vive les entreprises » en renonçant à mettre en cause la manière dont la finance les gère aujourd’hui ?
La feuille de route que s’est donné le nouveau gouvernement ne fera qu'aggraver les problèmes de l'économie française. La question n'est pas celle d’une prétendue insuffisance de la capacité « d’offre ». La question est l’austérité dans laquelle notre économie, à l’instar de la plupart des économies européennes, est aujourd’hui engoncée. Nous l’avions souligné dès son élaboration, le « Pacte budgétaire » est mortifère pour les pays de la zone euro, condamnés à réduire leur demande interne (en réduisant les salaires et les dépenses publiques et sociales) et à se battre les uns contre les autres pour se prendre des parts de marché.
Aujourd’hui, la BCE, comme le FMI (bienvenue aux derniers arrivés !), le reconnaissent à leur tour : les politiques d’austérité, loin d’être une solution, sont le cœur du problème européen. Elles doivent cesser sans délai. Au lieu de se donner comme objectif de réduire ses dépenses publiques ou son déficit de 4% du PIB (qui n’est pas excessif compte tenu de son niveau d’investissement public et de sa situation conjoncturelle), la France devrait constituer un front en Europe pour promouvoir une nouvelle stratégie. Celle-ci passe par une relance concertée centrée sur des investissements massifs pour la transition écologique, une lutte résolue contre l’évasion et l’optimisation fiscale, des mesures fortes pour réorienter l’activité bancaire et réduire la domination de la finance et la spéculation, ainsi qu’une réduction des cadeaux inutiles aux grandes entreprises.
Oui, la France, (et l’Europe) a besoin de réformes structurelles ambitieuses. Mais celles-ci doivent s’attaquer aux racines véritables de la crise, au lieu de l’aggraver en mettant en cause le modèle social européen. Non, il ne faut pas se donner comme objectif de réduire les services publics ou le pouvoir d’achat des salaires et des prestations sociales, qui soutiennent la demande. L’objectif, au contraire, doit être de réduire les dividendes exorbitants et la ponction que le capitalisme financier exerce sur les entreprises.
Il est urgent d'engager un grand virage vers une société plus démocratique, plus sobre, plus écologique, plus égalitaire, où le pouvoir des citoyens et des salariés sera accru. C’est seulement ainsi que pourront être mises en œuvre les transformations majeures dont notre société et les entreprises ont besoin.