Olafur Ragnar Grimsson, Président de la République islandaise, Octobre 2010 :
Peut-on demander aux gens ordinaires – les agriculteurs et les pêcheurs, les enseignants, les docteurs et les infirmières – d’assumer la responsabilité de la faillite des banques privées ? Cette question, qui fut au cœur du débat dans le cas de la banque islandaise Icesave, va être la question brûlante dans de nombreux pays européens.
Pourquoi aujourd’hui revenir sur la crise islandaise ? Ce petit pays n’est plus guère sous les feux de l’actualité. Certes il a connu unecrise bancaire et financière spectaculaire qui a conduit l’Etat et le pays entier aubord de la faillite. De plus, s’ils sont importants, les montants des dettes en jeu(quelques dizaines de milliards d’euros) ne sont pas susceptibles de perturbergravement les équilibres financiers internationaux. Enfin aux dernières nouvelles,les choses là-bas vont mieux : baisse de l’inflation, reprise de la croissance, baisse du chômage…
Alors donc : pourquoi y revenir ? Pour trois raisons au moins, pensons-nous.La principale est que si la crise islandaise est par bien des aspects la « sœurjumelle » de la crise irlandaise, elle s’en distingue par plusieurs traits, dont le plussaillant est que d’emblée, sitôt la crise bancaire installée, l’Islande s’est engagéedans une direction originale, visant à faire payer l’essentiel de la dette bancaire parles créanciers eux-mêmes.
Après de longues négociations et tractations et une mise à jour expresse des loissur les faillites, il s’est passé rien moins que ceci : l’essentiel de la dette bancaireislandaise est restée une dette bancaire privée. Les banques débitrices ayant faitdéfaut, ce sont les créanciers (et notamment les créanciers constitués pourl’essentiel d’investisseurs institutionnels non résidents) qui vont assumer ce défaut. Last but not least, le projet de compromis établi sur la partie de la dette pourlaquelle l’Etat islandais s’est trouvé contraint d’apporter sa garantie a été finalementrejeté, à l’occasion d’un référendum exigé par une pétition gigantesque rassemblantpresque 1/3 des électeurs de l’île. L’organisation de ce référendum, qui venaitcouronner une mobilisation tenace du peuple islandais, a contraint ses gouvernants,(et derrière eux l’UE et le FMI qui agissaient en coulisse), à revenir sur les accords initiaux. Finalement le référendum a permis d’obtenir un fort report et étalement dupaiement de la dette ainsi que des taux d’intérêt bien plus bas que ceux initialement prévus.
Pour toutes ces raisons, et bien que le poids économique de l’île soit très faible (son PIB tourne autour de 8 milliards d’euros seulement), l’étude du cas islandaisprésente un grand intérêt. Il permet de pénétrer dans les arcanes de larestructuration des dettes, en analysant « in vivo » les conditions dans lesquelles cette restructuration s’est faite. Il s’agit là, chacun le comprendra, d’un sujet majeurà l’heure où – c’est désormais un secret de polichinelle – la Grèce comme l’Irlandetravaillent assidûment sur leurs « plans B » : des plans de restructuration de leurs dettes souveraines.
Dans cette note, après avoir brièvement rappelé les conditions de la formation puisde l’explosion de la crise financière islandaise en octobre 2008, nous exposerons leprocessus de restructuration des dettes auquel l’Islande s’est livrée. L’attention estportée sur deux aspects distincts (quoique complémentaires et liés entre eux) : leprocessus de mise en liquidation des « anciennes banques » islandaises en défaut,et celui qui – à la suite d’un conflit sévère avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas – aconduit à un accord sur le cas particulier de Icesave, une agence de Landsbanki(seconde banque islandaise) opérant comme banque en ligne. Le rôle décisif de lamobilisation du peuple islandais au cours de ces conflits est rappelé. Sans ce quel’on a désigné comme la « révolution des casseroles », nul doute que les choses enIslande auraient pris une toute autre tournure.