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La Grèce peut dire non à l'austérité et oui à l'euro, par Thomas Coutrot
"Entre l'hyper-austérité (…) et la sortie de l'euro, il y a une troisième voie pour les peuples européens, estimeThomas Coutrot,économiste, membre du conseil scientifique d'Attac: «rester dans la zone euro en désobéissant aux règles».
George Papandréou a joué et perdu. Son coup de poker du référendum a été mis en échec par la réaction conjointe des marchés financiers, des dirigeants européens, du G20 et de ses «amis» du Pasok. Bien entendu, son initiative était une manœuvre désespérée pour restaurer une autorité chancelante. Mais cela n'enlève rien au fait qu'un référendum aurait, au moins en partie, remédié à l'extraordinaire déni de démocratie auquel est soumis le peuple grec sous la tutelle de la finance internationale. La politique d'austérité brutale menée depuis 18 mois n'a en effet aucune légitimité démocratique. Papandréou n'a pas été élu pour mener cette politique, et les Grecs ont suffisamment manifesté dans les rues et sur les places de tout le pays leur désaveu. Il est démocratiquement aberrant de refuser au peuple la possibilité de choisir la route à prendre dans une situation aussi dramatique.
Pourtant, la proposition de référendum n'a guère rencontré de soutien sur l'échiquier politique grec, même à gauche du Pasok ou chez les sympathisants des Indignés grecs. Outre le discrédit personnel de Papandréou, ce paradoxe tient peut-être à la nature des choix présentés comme possibles pour la Grèce. A en croire Papandréou lui-même, sur ce point parfaitement d'accord avec les dirigeants européens, l'alternative était simple: accepter le plan européen du 27 octobre, avec une nouvelle aggravation de l'austérité qui dévaste le pays, ou bien sortir de l'euro et revenir à la drachme, avec des conséquences encore plus dramatiques au plan économique et social. (N'oublions pas non plus les conséquences politiques, avec un déchaînement de nationalisme en Grèce et de xénophobie anti-grecque en Europe).
En effet, d'un côté le plan européen, s'il promet d'effacer une partie (50% des titres détenus par la finance privée) de la dette grecque, annonce de nouvelles restrictions drastiques des droits sociaux et de la souveraineté politique du peuple grec, avec en particulier l'installation permanente à Athènes de la troïka (BCE, Commission européenne, FMI) pour piloter directement les coupes budgétaires et les privatisations.
De l'autre, la sortie de l'euro et le retour à la drachme ne permettraient plus à la Grèce de continuer à rembourser sa dette, dont les banques grecques sont largement détentrices. Les Grecs se précipiteraient dans les banques pour retirer leurs euros. D'où la faillite prévisible du système bancaire grec et l'effondrement de l'économie. Certes, à moyen terme (5 à 10 ans peut-être), la dévaluation de sa monnaie, d'environ 30% à 40%, redonnerait de l'oxygène à un secteur exportateur qui étouffe dans le corset de l'euro. Les exportations pourraient redémarrer mais l'inflation aussi, et la demande intérieure resterait durablement déprimée.
Si les seuls choix possibles sont entre le pire et la catastrophe, on comprend le manque d'enthousiasme devant la perspective d'un référendum. Si la victoire du «non» signifie la sortie de l'euro et, comme c'est probable, un effondrement brutal, pourquoi faire endosser par le peuple la responsabilité de cette issue tragique?
Heureusement, entre l'hyper-austérité sous tutelle étrangère et la sortie de l'euro, il y a une troisième voie pour les peuples européens, à commencer par le peuple grec. Une voie certes escarpée, mais plus acceptable sur le plan démocratique et peut-être moins périlleuse, au plan économique et surtout politique. La Grèce –et l'Italie, et la France…– pourrait tout simplement rester dans la zone euro en désobéissant aux règles de l'euro. Un gouvernement progressiste tiendrait le discours suivant à son peuple et aux autres européens: «l'euro est notre monnaie commune. Mais les traités l'ont placée dans les mains de la finance, en interdisant à la Banque centrale européenne de financer les États, et en interdisant aussi l'entraide mutuelle des pays de la zone euro. Nous ne voulons plus être obligés de nous financer sur les marchés. Nous voulons retirer l'euro aux banques et le remettre dans les mains du peuple. Nous, gouvernement de ce pays, commençons à le faire chez nous car notre peuple ne supporte plus les exigences des spéculateurs. Nous invitons les mouvements sociaux et les peuples européens à faire de même partout, pour nous réapproprier ensemble notre monnaie commune et refonder notre Union européenne sur d'autres bases».
Techniquement la chose est simple: le gouvernement en question enjoint à sa Banque centrale d'émettre des euros, pour recapitaliser les banques et pour contribuer à financer le déficit public. Celui-ci sera d'ailleurs fortement réduit du fait de la suspension du paiement de la dette, et pourrait l'être davantage, dans le cas grec, si les citoyens cessaient de fuir l'impôt. Cette fuite s'est récemment aggravée du fait de l'injustice des politiques d'austérité: mais des mesures rigoureuses à l'encontre des gros fraudeurs, une réforme fiscale progressiste et un sentiment d'équité, de légitimité démocratique et de dignité nationale retrouvée contribueraient sans doute fortement à restaurer le consentement à payer de la grande majorité de la population grecque.
Restaurer une souveraineté démocratique nationale sur la création monétaire en euros ne pose peut-être pas de grands problèmes techniques à court terme, mais il en va bien sûr autrement au plan politique. Les dirigeants européens tenteront de dresser les opinions publiques contre les «faussaires» qui fabriquent des euros pour éviter les sacrifices et se prélasser sur le dos des pays vertueux. Des représailles seront mises en œuvre, même si le traité de Lisbonne ne prévoit aucune possibilité d'exclure un pays de la zone euro. On menacera le peuple désobéissant d'un boycott économique total. Mais l'Union n'aura plus l'arme de la dette. Et un discours résolument pro-européen, tourné vers la démocratie, la justice sociale et environnementale, trouverait un écho considérable auprès des autres peuples européens eux aussi soumis à l'arbitraire des agences de notation et aux politiques d'austérité. Un effet-domino, progressiste celui-ci, pourrait alors gagner d'autres pays. La gauche européenne doit refuser le pseudo-choix entre l'austérité et l'éclatement de la zone euro.