Ils veulent la peau de l’État social et ils ont là une occasion
A quelques heures du sommet européen de Bruxelles, le énième de « la dernière chance pour sauver la zone euro », Dany Lang, membre du réseau des Économistes atterrés, enseignant à Paris-XIII, analyse pour l’Humanité la deuxième phase de la crise européenne.
Un an après avoir constitué le réseau des Économistes atterrés pour dénoncer la rigueur généralisée, que vous inspirent les derniers développements de la politique des États européens ?
Dany Lang. Ils témoignent de l’entêtement à vouloir constamment rassurer les marchés. Déjà en 2010, lorsque nous avons construit ce rassemblement des économistes atterrés, nous dénoncions cette austérité généralisée qui allait aggraver les problèmes. Quand on diminue les dépenses publiques et les revenus des populations, l’économie ne peut pas repartir. À l’époque, on nous traitait de fous furieux, malheureusement, aujourd’hui, la démonstration est faite. Et les séquences s’enchaînent : plus vous allez mal, plus vous allez être puni et plus vous allez aller mal. À cet aveuglement s’ajoute une poussée antidémocratique. Avec l’adoption de l’euro et le choix de l’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE), les États avaient déjà abandonné la politique monétaire et des changes, mais aujourd’hui il est question de perdre la maîtrise de leur politique budgétaire. C’est une mise sous tutelle des marchés, où les fonctionnaires de Bruxelles vont contrôler les orientations des budgets des États.
Pourquoi cet aveuglement ?
Dany Lang. Je crois que les élites européennes ont compris qu’elles pouvaient avoir enfin la peau de l’État social. Depuis trente ans, les réglementations et les différents traités ont mis des coups de canif dans le modèle social européen sans jamais parvenir à le mettre à bas. Les dépenses sociales n’ont pas diminué. Ils ont là l’occasion de réaliser leur vieux rêve. Ensuite, les dirigeants allemands, forts de leur modèle tiré vers l’exportation, ont fait leurs calculs. Et pensent qu’ils pourront s’en sortir sans l’Italie, le Portugal, la France et la Grèce, en trouvant de nouveaux débouchés dans les ex-pays de l’Est ou dans les économies émergentes. Enfin, il ne faut pas oublier que, dans la théorie libérale, c’est l’offre qui détermine la demande. Pour eux, le fond du problème ne peut être que l’offre.
Un an après avoir lancé un manifeste, le réseau des économistes atterrés s’apprête à publier un nouvel ouvrage(Changer d’économie, nos propositions pour 2012). Qu’apporte-t-il ?
Dany Lang. Après la sortie du manifeste, qui s’est très bien vendu, on nous a reproché de ne pas avoir fait de propositions. L’élection présidentielle donne l’occasion de mettre dans le débat public ces propositions. Outre l’arrêt de la spéculation sur la dette par une intervention de la BCE et la régulation du système financier en cloisonnant l’activité de dépôt des banques d’investissement, nous proposons, pour retrouver la croissance perdue, de renouer avec une planification fédératrice en finançant les grands projets par des banques nationales de développement, qui récolteraient l’épargne des citoyens dans chaque pays de la zone.
Entretien réalisé par Clotilde Mathieu