« Les modèles sociaux mis en danger par la dégradation des conditions de travail »
Philippe Askenazy, économiste atterré, lors d’une rencontre avec la presse organisée par l’Ajis (association des journalistes de l’information sociale
« Nos modèles sociaux sont mis en danger par les dégradations des conditions de travail. Le renforcement des situations de pression sur les travailleurs a des coûts : ceux de la santé au travail, des TMS (troubles musculosquelettiques), des maladies professionnelles, des risques psychosociaux, etc. Il y a des éléments de réponse à cela : dans la gouvernance des entreprises, dans la protection sociale ou dans les politiques de l’emploi », analyse Philippe Askenazy, [1).
L’économiste est membre du collectif des « économistes atterrés », créé en février 2011. Cette association de chercheurs, universitaires et experts en économie, doit présenter le 11 janvier prochain des « propositions pour 2012 ». Leur credo : le combat contre le néo-libéralisme, responsable selon eux, de l’enchaînement des crises, financières, économiques et sociales depuis 2007.
Pour Philippe Askenazy, l’une des sources de ces tensions sur le marché du travail provient de la logique « d’immédiateté financière des entreprises ». Explication : dans les années 2000, les entreprises ont troqué leur « logique de productivité » contre « une logique de rentabilité financière court termiste ». Ce qui induit de nouveaux outils managériaux pour accroître la rentabilité. S’ajoute à cela le chômage de masse, et un « certain discours », relevé par l’économiste : « pour sauver votre emploi, acceptez des mauvaises conditions de travail ». « De moins en moins de salariés sont prompts à accepter ce discours, d’où l’émergence d’une forte jurisprudence en la matière », poursuit Philippe Askenazy.
Fausses évidences
L’un des objectifs de ce collectif est de « tordre de la cou » à certaines fausses évidences ou mystifications. Pour Benjamin Coriat [2] « il ne faut pas se tromper de crise : on entend souvent dire que nous sommes dans une crise des finances publiques parce que l’État a été trop dispendieux et qu’il y a trop de dépenses sociales. Or la crise actuelle est entièrement due à la crise financière de 2007 et au rattrapage qui a suivi ».
L’économiste cite l’exemple de la chute de la banque d’investissement multinationale Lehman Brothers : « avant, aucun État de la zone euro n’était dans une procédure pour déficit excessif. En 2010, ils le sont tous ».
Trois propositions sont formulées par ces économistes : « définanciariser l’économie et l’entreprise, redéfinir une base fiscale et refonder une politique sociale ». « Il y a 20 ans on nous prenait pour des rigolos avec nos propositions de séparer les banques d’investissement et les banques de dépôts, ou de mettre en place la taxe Tobin [3] aujourd’hui ces propositions sont reprises par le G20. »
Autre fausse évidence, selon les Économistes atterrés : la compétitivité/coût [4] « C’est une erreur fondamentale », insiste Benjamin Coriat. « Ce n’est pas le problème de la France, on trouvera toujours une façon de produire moins cher dans le monde. La seule compétitivité qui peut préserver l’emploi c’est la « compétivité/qualité », avec la création d’un label français ou européen pour que les produits soient désirés pour ce qu’ils sont ». Les économistes atterrés, qui refusent d’être le « think tank » d’une quelconque tendance politique , envisagent néanmoins de peser dans le débat pour la présidentielle de 2012.
[1] Économiste du travail, directeur de recherches au CNRS, docteur de l’EHESS, et chercheur à l’École d’économie de Paris
[2] Professeur d’économie à l’université Paris XIII et co-président du collectif des Économistes atterrés
[3] taxation des transactions monétaires internationales afin de ne plus inciter à la spéculation à court terme
[4] Selon l’Insee la compétitivité-coût compare l’évolution des coûts salariaux unitaires de la France (évolution du coût du travail corrigée de celle de la productivité) à celle de ses partenaires. Le poids donné à chacun des partenaires mesure la concurrence exercée par celui-ci sur chacun des marchés d’exportation de la France.